17.10.2024
Laurent Dutoit aime à dire qu'il a commencé sa vie professionnelle par quatorze mois de prison. Soyons précis : au sein du service RH du service pénitentiaire de l'État de Vaud. Ce premier emploi, il l'obtient en 2004, à l'issue d’une formation universitaire en psychologie suivie à l'UNIL et complétée par un Bachelor en psychologie du travail à Neuchâtel.

Un peu à l'étroit dans les murs de cette administration, Laurent Dutoit fait ensuite ses armes comme assistant RH auprès du groupe américain Eaton - spécialiste mondial des disjoncteurs, basé à Morges - puis à la Radio Suisse Romande. En 2007, il rejoint le siège européen de Nissan, à Rolle, d’abord au service de sa filiale haut de gamme Infiniti, puis en tant que manager RH. L’aventure automobile se termine treize ans plus tard avec la fermeture progressive du site.

 Le destin est taquin : c’est le 1er janvier 2020 que Laurent Dutoit prend son premier poste dans le domaine de la santé. Quoi de mieux qu’une pandémie en guise de baptême du feu ? Tout d’abord Responsable GRH des Établissements Hospitaliers du Nord Vaudois, il en est le DRH depuis juillet 2021.

 

Difficile de parler des eHnv sans parler du projet de nouvel hôpital… Où en êtes-vous ?


Le point de départ de ce projet, c'est qu'il y a trop d'hôpitaux en Suisse romande, du moins concernant les soins aigus, ce que l’on appelle les lits “A”. 95% de la population se trouve à moins de quatorze minutes d’un établissement hospitalier. Or les eHnv disposent de deux services de ce type, à Yverdon et Saint-Loup. L’idée, à l'origine, c’était de les réunir en construisant un hôpital moderne à Yverdon. Un second projet a ensuite vu le jour : concentrer dans un autre établissement, à Orbe, les lits “B” des eHnv. Il s’agit des lits de nos deux centres de traitement et de réadaptation actuels, situés à Chamblon et à Orbe. Désormais, nous envisageons de réunir l’ensemble des lits A et B à Yverdon.

Ce qui freine ce projet de nouvel hôpital, c'est l'aspect financier. Les coûts de construction ont explosé suite au Covid et à la guerre en Ukraine. Les nouvelles normes antisismiques ont encore alourdi la facture. Résultat : il manque 180 millions de francs, personne n’est en capacité de couvrir un tel dépassement et les travaux n'ont pas pu débuter. Nous espérions un nouvel hôpital pour 2031, il faudra atteindre 2035.

Un autre facteur est aussi intervenu, dans une moindre mesure. Nous avons établi le cahier des charges de cet hôpital en consultant le personnel, ce qui a fait émerger de nouveaux besoins. Par exemple, le laboratoire de biologie médicale devra avoir une superficie beaucoup plus grande que celle initialement prévue.

 

Être à l'écoute du personnel, c'est votre préoccupation ?


C’est surtout un impératif, et il est facilité par la structuration très particulière des eHnv. Notre organisation ne comporte que trois niveaux hiérarchiques : la direction, composée de huit personnes qui assurent la gouvernance de l'hôpital, puis une centaine de cadres de proximité et environ 1.700 collaboratrices et collaborateurs. On peut parler de « circuit-court », très efficace pour faire circuler les informations.

Si je parle d’« impératif », c’est parce que nous devons absolument prendre en considération les attentes de notre personnel. Tout d’abord, pour garder nos collaborateurs.trices. De plus en plus de soignant.e.s démissionnent non plus pour changer de poste mais pour changer de métier. En Suisse, la durée moyenne d’exercice d’une infirmière est de quelques années. Les carrières courtes s’expliquaient autrefois par des interruptions liées à l'éducation des enfants. Mais de nos jours le personnel hospitalier traverse une véritable crise du sens : plus assez de reconnaissance de la part des patients et des familles, trop de tâches administratives…  Nous devons absolument repenser le soin, pour que les professionnels se recentrent sur ce qui les a amenés à faire ce métier. Qui devient soignant pour passer jusqu’à 50% de son temps de travail devant un écran ?

La deuxième raison de prendre en compte les attentes du personnel concerne le recrutement. Les nouvelles générations ne négocient plus leur salaire mais leur qualité de vie. Les jeunes professionnels refusent de travailler la nuit ou le week-end. Ils veulent avoir des contrats courts leur permettant de voyager. Nous, employeurs, nous ne sommes plus en position de fixer nos conditions puisque nous devons aller chercher des médecins, des physios et des techniciens de radiologie médicale jusqu'en Grèce… Là aussi, c’est à nous d'inventer une organisation respectant ce désir de travailler autrement.

 

Quelle place pour la santé au travail aux eHnv ?


Le taux d'absentéisme est pour nous une préoccupation constante, même si parmi les douze membres de la Fédération des Hôpitaux Vaudois nous faisons plutôt figure de bon élève. Concernant nos soignants, ce taux atteint 12 à 13%, loin des 20% relevés dans d'autres hôpitaux. Mais nous avons tout de même un taux moyen d'absentéisme global de 8.5% … alors qu'en Suisse il s’élève à 3.4 % tous secteurs confondus.

Comment endiguer l'absentéisme ? D’abord je voudrais préciser que le travail physique n'est pas plus pénible qu'avant. Simplement, cette pénibilité est perçue différemment : le personnel, et c’est heureux, est mieux informé et plus exigeant concernant ses conditions de travail. Pour autant, les métiers du soin ont toujours, dans la durée, un impact physique sur les organismes lié notamment aux horaires décalés ou de nuit. C’est pourquoi nous sommes particulièrement vigilants quant aux conditions de travail des seniors et que l’âge entre en compte au moment de faire les plannings.

Notre principale préoccupation concerne les risques psychosociaux, avec une vigilance accrue à l’égard des cadres de proximité. En raison de notre organisation à trois niveaux, ils sont davantage exposés car directement sollicités à la fois par la direction et les équipes. Plus globalement, nous nous appuierons dès 2025 sur un système d'évaluation annuelle, afin d’aborder avec chaque membre du personnel ses objectifs et ses perspectives d'évolution professionnelle.

Dans ce domaine des RPS, la prévention est essentielle. Car lorsqu’une personne se retrouve en arrêt pour un burnout, il est difficile de savoir à quel moment elle pourra reprendre son poste de manière pérenne. Or nous avons des contraintes financières qui nous empêchent de couvrir les salaires sur de très longues périodes. Nous traitons ces situations au cas par cas, avec l’appui de Santy.

L’idéal, c’est de travailler en amont, d'identifier au plus vite les absences perlées, révélatrices d’une souffrance et trop souvent annonciatrices d’absences longues. C'est là où j'attends un travail spécifique de Santy : prévenir les absences de longue durée pour que l’on n’ait pas ensuite à colmater les brèches.

Quand je parle de prévention, c‘est au sens large. Le champ d'action ne doit pas se limiter aux accidents du travail. Les eHnv ont tout intérêt à prévenir aussi les accidents de la vie domestique pour faire baisser la sinistralité. In fine, même s'il est toujours difficile d’évaluer ce que rapporte à court terme une action de prévention, je suis persuadé que c’est toujours un investissement utile. Or nous avons en interne trop peu de temps à consacrer à la santé au travail. Le navire eHnv a besoin de s’appuyer sur un partenaire agile et réactif. Un partenaire qui connaît bien notre structure, nos métiers, et qui nous permet d’aller à l'essentiel.